Blog pour toutes et tous relatant les événements sur la vie du village de Lesdins

vendredi 29 août 2014

2 Septembre 1944 LESDINS est libéré

 Récit au jour le jour de la libération de la FRANCE du 24 août 1944 à la libération de LESDINS le samedi 2 septembre 1944

Publication d'un document fourni par Marguerite de Chauvenet, fille de Fernand de Chauvenet maire de Lesdins à cette date. 
Ce document a été écrit au jour le jour à partir du 23 août 1944 au mardi 5 septembre, sous forme de journal intime.

         Mercredi 23 août 1944, elle écrit :

    Libération de Paris par les forces Françaises de l'intérieur.
Je passe ma journée à St Quentin où je déjeune chez les Fleury. A midi nous prenons la T S F . et qu' entendons -nous ? La prise de Paris par les F F I . La bataille de la rue a parait- il durée quatre jours.
On annonce également la prise de Pithiviers.
Il serait temps de faire son drapeau !
En rentrant, l' après midi une grosse activité aérienne. Les convois passent sans arrêt sur la route remontant sur la Belgique. La soirée se passe calmement. On entend quelques coups de feu dans le lointain.
Les Allemands doivent faire sauter les bateaux de Lesdins demain.

           Jeudi 24 août.

Journée extraordinairement calme. Pas d' avions. On annonce ce matin que les Américains seraient aux portes de Laon. C'est probablement un "bobard" mais en attendant ils sont aux portes de Bordeaux. Les convois passent toujours sur la route à la même cadence.
Je vais l' après midi avec maman chez un ami de la famille (qui a une ressemblance frappante avec Sacha Guitry).
On ne parle plus des bateaux. Les Allemands refoulent dans la direction de Soissons.

     Vendredi 25 août :

Le pont de Courcelle à Fonsommes saute cette nuit. La rigole du "noirieu" crève à un endroit.( petit canal d' alimentation du canal de St Quentin). Journée assez calme. Nous descendons cependant à la cave. Les avions mitraillent sur la voie deux trains en arrêt. Monsieur Fleury est venu cette après midi, il a fait une journée étouffante.

       Samedi 26 août :

Un avion allemand s' est abattu hier soir, tombé au souterrain du canal à Lesdins.
Gros bombardement toute la journée en direction de Laon.
Les Américains seraient à Reims.
Paris libéré définitivement.

      Dimanche 27 août :

Durant toute la nuit et toute la journée, les convois n’arrêtent pas de passer. Ce matin un camion Allemand et une auto s' arrêtent derrière la maison, ils aboutissent finalement au garage où papa leur conseillent "gentiment" d' aller à la ferme "en face" pour être tranquille. Mais ils ne veulent rien savoir et restent au garage toute la journée et la nuit.
L'après midi, on vient trouver papa pour le logement de 200 hommes et cinq officier. Carlier de Remaucourt arrive pour en refiler ici. Les officiers ne veulent pas coucher à Remaucourt parce-que l'un deux dit : " triste château pour officiers Allemands " Ceux qui sont au garage sont calmes et surtout fatigués. Un Polonais nous raconte qu' il en a assez de la guerre, qu'il revient de Paris et dit : "terroristes terribles !!! prendre tout ! vivement habits civils et qu'on foute....le camp, revoir femmes et enfants !!"
Ils repartent demain pour l'Est, disent-ils.
Pas d' électricité une partie de la journée.
Paris a été bombardé hier par les allemand.
Suzanne Fleury est venue cette après-midi avec son père. Ils veulent aller à Parpeville mercredi. Attendons ....

      Lundi 28 aout :

Le camion d'allemands est reparti hier soir. Le logement pour 200 hommes est fait. A midi papa revient et nous dit qu' il est probable qu'ils iront au château du Tronquoy. Le soir nous apprenons que les Dupré sont mis à la porte "aujourd’hui' la maison des Benoit" (les allemands habitent le château ) Il faut qu'ils soient parti s le lendemain matin.Nous n'en aurons donc pas chez nous. Une chose est curieuse, tous les convois qui remontaient vers la Belgique ces jours derniers redescendent sur St Quentin aujourd'hui. Feraient -ils une ligne de défense dans notre région ??
Il se passe des histoires dramatiques. Papa en rentrant ce soir a appris qu' un camion de la résistance s'est tapé à Fontaine- Notre -Dame dans un camion allemand. La résistance a voulu s'enfuir, ils ont été malheureusement tirés comme des lapins. Ils étaient 19 dont les fils du docteur Bachy (19 ans). Deux pauvres cyclistes qui suivaient tranquillement le camion en rentrant chez eux, ont subi le même sort.
De nombreux avions aujourd'hui. Beaucoup de coups de feu et de vacarme dans les environs.
De la troupe dans les villages environnants, à Remaucourt notamment 100 personnes dont des allemands, des femmes, des enfants et même des bébés.

       Mardi 29 aout :

A huit heures du matin, le logement est fait pour deux officiers. Ce sont les postiers de Compiègne. En allant ce matin chez Robert Froment, je m'aperçois que les allemands qui logeaient dans la boucherie déménagent. Les américains sont cette fois à Laon.
Les allemands ont volé hier la voiture de R. Froment sur la place de St Quentin alors que ce dernier était à la banque.
 
Cette après-midi, je rencontre Cyrille Hugo le garde chasse de Mr Desjardins, il est ahuri de ce qui se passe à Remaucourt chez son patron. La maison est remplie de paille de haut en bas (la 202 Peugeot a été découverte sous la paille où elle était cachée, et prise).
On entend de grosses détonations. ce sont les pistes d’atterrissages de Clastre et de Mons- en- Chaussée qui sautent. 
Aucune nouvelle des allemands du Tronquoy.
Un temps épouvantable toute la journée.
A St Quentin les allemands ont essayé de mettre le feu aux magasins généraux. La poste est fermée, 
la prison ouverte, parait-il.
Cette fois, c'est sur la Belgique que les convois remontent. Il y a du bon.
Je démonte les bicyclettes, les "boches" continuent à les prendre.
En dernière minute Soissons est pris.

       Mercredi 30 aout  :

Grosses détonations toute la journée. Les allemands ont fait sauter toutes les péniches à Omissy et à St Quentin, à Lesdins il y en a 44 : elles doivent sauter ce soir à huit heures !! Pourvu que cela nous laisse en paix.
Réquisition des chevaux, Choquenet camoufle les siens dans le bois de la Hillère.
Nous logeons ce soir un officier et deux hommes dans la maison et une vingtaine dans le garage. Pour demain, le cantonnement est fait pour un colonel et son état-major. Ils ne resteront pas, il faut l'espérer, pas assez longtemps pour nous mettre à la porte.
Et le pauvre Hugo se lamente toujours ....
Il passe des tanks sur la route.
Pas un avion dans l'air.
A St Quentin, tous les magasins sont fermés. Les allemands pillent les fabriques Françaises, le dépôt de tabac.

         Jeudi 31 aout. :

A sept heures du matin, on commence par vouloir nous mettre dehors pour organiser un hôpital, "malheureux dans si beau château" dit le toubib allemand !!! Ils s' installent à Remaucourt où ils ne restent qu'une journée après avoir mis à leur tour les occupants à la porte. 
Il est venu cette après midi au moins douze voitures différentes pour faire les logements. Il sont corrects en général. La cuisine est envahie. Aimable, la cuisinière s'évertue à leur faire cuire du lapin.
elle a bien de la constance ! En échange, un soldat lui apporte deux kilos de sucre.
Le colonel arrive ce soir.
Gros mitraillage ce soir pendant que je suis à l' Église où je me mets dans la Sacristie, histoire d'en recevoir moins sur la tête...
Passage sur la route d' allemands à pied,  beaucoup de chars et de camions.
Au cours d'un passage d' avions, un officier se met à l'abri chez Mr Piot et lorsque celui-ci lui demande la raison de son manque de ceinturon, de revolver etc...l' officier lui répond :"Guerre terrible !! terroristes épouvantables !! tout prendre !!."  (décidément ils sont mal vu)
Pas de lumière depuis le bombardement aujourd'hui sur la route de Fontaine.
 Amiens et Rouen sont pris.

     Vendredi 1er septembre :

Rien d' extraordinaire à signaler. Le colonel est arrivé hier soir. Il a l' air "sombre", il se promène les mains derrière le dos d' un air pensif. Il déjeune seul dans sa chambre et son officier d' ordonnance dans la cuisine....La nuit dernière, les officiers n'ont pas arrêté de monter et descendre. Le chien du colonel monte la garde dans le vestibule.

     Samedi 2 septembre :

Tous les allemands partent précipitamment. Toute la nuit, un va et vient continuel dans l'escalier. A huit heures du matin, calme plat à part un bruit épouvantable au garage qui nous réveille en sursaut, papa entre dans ma chambre en disant :" à la cave !!" Nous nous habillons en vitesse. Ce n' était pas grave, simplement les allemands du garage qui, avant de partir, firent sauter leurs munitions. Ils abandonnent deux voitures, ceux là ont du partir à pied !
Les camions de munitions qui étaient postés dans le parc depuis hier ont démarré aussi ce matin à quatre heures. Bon débarras!!
Toute la matinée de grosses détonations. Des camions qui brûlent, une voiture devant chez Carlier qui saute. (Carlier anciennement Clotilde Coulon) 
Au garage nous retrouvons vingt kilos de sucre .
A trois heures, nous entendons le canon sur la route de Cambrai. Du grenier nous voyons la fumée s' élever.
Un défilé continuel sur la route, des canons et les avions au dessus. C' est un miracle que notre village soit debout !! A quatre heures et demi, bombardement sur Lesdins, nous allons à la cave au moment où nous entendons un carreau de la salle à manger se briser. Il y a deux civils de tués en face la boulangerie, la maison est fendue. Ces deux personnes, la tante et le neveu, étaient des réfugiés de St Quentin qui lors des bombardements de cette ville, avaient perdu des parents. Le café Galioot est également par terre. La boulangerie est aussi très abimée. Sept boches ont été tués et enterrés sous le noyer dans le jardin des Lemaire.
Au cours d' un second bombardement, Belcourt est incendié, la ferme brûle avec 300 moutons, c'est impressionnant à voir !! Tout le long de la route un convoi est détruit. 
A sept heures, on commence à entendre la canonnade sur St Quentin. Papa nous engage à préparer la cave pour y passer la nuit et va prévenir les personnes du quartier de venir se réfugier la nuit à la maison pour éviter de passer ces durs moments sur une grand route.
Le soir à huit heures arrivent la famille Baillet, Ruffin, Bertoux, Lemaire. Nous préparons la cave "militairement ". Après, tout le monde remonte se coucher dans ses fauteuils, je me contente du plancher entre Mr Baillet et sa fille Jacqueline ....Maman dans la bibliothèque avec ces dames et papa tranquillement dans son bureau avec Jack Baillet.
Pendant ce temps, Bourdon, Wilmotte, Couvez et Chobaux sont dans la cave du jardin. Une nuit calme, comme il y a longtemps qu' on en avait eu une pareille. Les allemands sont passée jusqu' à onze heures. Le dernier char a tiré en passant sur la place du village. Plus de canon sur St Quentin.
on commence à ne plus rien y comprendre.

       Dimanche 3 septembre :

Tout le monde repart chez soi, après un café collectif.  J' étais dans ma chambre lorsque vers huit heures et demi, Delacher arrive en courant en disant "les Anglais sont sur la place" !! .Nous nous précipitons, une voiture F F I passe et s' arrète. 
Enfin !! nous voilà libéré, "délibéré" comme disent les braves gens. Nous sommes émus, il y a de quoi. On hisse le drapeau à la mairie. Nous allons, maman et moi à la messe à Remaucourt, les avions passent encore et on les regarde d' un œil rassuré, mais on a encore de la crainte. Je fais en rentrant un drapeau pour la maison. A midi et demi, les premiers chars américains passent, je vais les voir passer pendant une heure. Pendant ce temps papa est  à la mairie avec Boisson qui vient lui dire que Fievet  est arrêté par la résistance ainsi qu'un nommé Caron.
Nous avons des nouvelles des treize  F.F.I. de LESDINS, tous sont sains et saufs ! Ils ont pris St Quentin hier soir à sept heures. L' Hotel de ville et la Préfecture régionale ont été occupés à quatre heures. Bagarre du coté de Remicourt ( guestapo) rue Dachery et du coté des Quatre Colonnes. En tout 28 morts et 27 blessés .
L'après- midi, nous passons notre temps dans le village pour voir passer les américains.
A Lesdins, on ne perd pas son temps, on commence à faire "expier" les jeunes demoiselles. Les " coupeurs de cheveux" sont là" 'opération sur le pont de la rigole ( coté Froment). Ce sont les bateliers qui se sont chargés de cette opération. Après les avoir tondues, l' un d'eux les a badigeonnées de goudron des pieds à la tête....Elles étaient trois.
Inutile de dire que les américains sont accueillis par des cris de joie, ils distribuent sur leur passage : bonbons, cigarettes et gateaux. Les habitants de Lesdins sont fous de joie. Combien durera cette bonne entente ??? . Je rencontre Mr B....qui, après m'avoir congratulé sur le départ des boches, m'a dit combien il était content qu'ils soient partis pour Mr de Chauvenet, depuis quatre ans qu' il se démène avec eux, mademoiselle tous les services qu'il nous a rendu depuis qu' il est rentré.
C'est aujourd'hui l' anniversaire  de la déclaration de guerre, mais se sera aussi maintenant l' anniversaire du départ des boches dans notre pays et l'on s'en souviendra.

     
    Lundi 4 septembre :

Enfin, cette nuit nous dormons tranquille. A Bohain , il y aurait encore de la résistance de même qu' à Ribemont .
Je sors ma bicyclette et je la remonte.

     Mardi 5 septembre :

Je vais à St Quentin avec papa. Nous faisons le tour de la place, il y a foule. Maintenant on attend l' arrivée des Français. Mlle Luce que nous rencontrons nous dit qu' elle a vu au centre d' accueil quatre officiers français mais qu'il est probable qu'ils passeront plus à l'Est de St Quentin.
Le bruit court que le général Leclerc serait à Compiègne. Le bruit court également qu' Hitler serait en Suède et aurait accepté l' armistice sans condition : ce serait trop beau pour être vrai !!
On attend Mr Desjardins d' une minute à l'autre.
A sept heures du soir, manifestation au monument aux Morts.
                        Papa fait un discours dont voici le texte:

    Messieurs, Mesdames, mes chers amis, 

" Hier dans la soirée, le lieutenant Harvois, commandant d'une section des forces Françaises de l' intérieur de notre canton, me faisais savoir la délicate intention qu'il avait et qu' avaient également les gradés et les hommes de son détachement de venir déposer une gerbe de fleurs au Monument aux Morts de Lesdins.
Vous permettrez à votre maire, qui vous a si souvent réuni autrefois devant ce Monument, au pied duquel il lui était interdit de parler depuis cinq ans, non pas de vous faire un discours, mais de venir clamer, en votre nom, notre joie de voir enfin flotter le drapeau français librement sur la terre française.
Dimanche, jour anniversaire de la déclaration de la guerre 1939, après une semaine d' angoisse où nous avons vécu plus intensément que jamais le drame et où nous avons senti peser plus lourdement sur notre village la botte allemande, après une nuit où nous pouvions tout craindre, les premiers éléments de la reconnaissance de la résistance, précédant les troupes américaines, traversaient Lesdins pavoisé et tous, le cœur étreint, les larmes aux yeux nous les acclamions comme il se devait.
Vers les artisans de cette inoubliable journée monte le tribut de notre reconnaissance et nous pouvons faire mieux puisque nous avons ici un groupe qui a repris St Quentin, et par conséquent Lesdins de reporter sur eux ce tribut et de prier leur lieutenant d' être notre interprète auprès de ses chefs directs et de ces camarades.
" Il leur dira que dans la même pensée, nous réunissons tous ceux qui "connus ou inconnus", à un titre quelconque, depuis des années ont préparé ces journées de libération, il leur dira notre immense peine pour tous ceux qui, victime de leur courage  sont tombés obscurément pour la cause de la France .
"Il leur dira que nous adressons à tous ceux qui sont incarcérés, déportés, prisonniers, notre souvenir.
"Nous aurons aussi une pensée fidèle pour les prisonniers de 1940 et pour tous ceux, qui en Allemagne suivent avec quelle perplexité la marche des événements.
" Enfin, je vous demande un souvenir ému pour les deux victimes du bombardement dont la fin tragique à la dernière minute est infiniment dramatique.
Aujourd'hui, passent les troupes américaines, un jour prochain nous verrons sans doute les troupes françaises.
"Bientôt j' en suis convaincu, nous apprendrons la fin du cauchemar que nous vivons depuis cinq ans et alors une France définitivement libérée, nous travaillerons chacun selon nos aptitudes à rendre notre pays, la place qu'il a toujours occupé dans l' histoire et dans le monde .
                                                                                                                                                                                 Vive la FRANCE.
  
Ces documents  ont été retransmis intégralement 

Ils m'ont été offert par Marguerite de Chauvenet Levoir :  de Lesdins