Blog pour toutes et tous relatant les événements sur la vie du village de Lesdins

mardi 15 mars 2016

Roman

Journée de chamaillerie à Lesdins

Episode n° 5

Pour nous les enfants, grâce à Firmin, c'est une distraction de regarder chaque jour sur le chemin de l'école évoluer les choucas dans le ciel. Pour se détendre de la nuit passé dans le clocher, ils s'amusent dans la légère brise du matin, virevoltent, engagent des poursuites qu'ils terminent par un virage serré pour finir en une pirouette acrobatique, puis se laissent tomber telle une feuille morte pour reprendre au dernier moment de l'altitude dans un cri strident qui leur est propre.
Pendant ce temps, Lesdins s'apprête à vivre de grands changements. Le creusement du canal et le percement du souterrain sont de toutes les conversations des adultes. Certains paysans se sont opposés au projet, le tracé de la voie d'eau les expropriants d'une partie de leur terre. Les réfractaires ne purent que constater leur impuissance à l'arrivée de la troupe. Les travaux allaient commencer.
Pour ce grand chantier voulu par l'empereur et pour respecter les délais, une nombreuse main d'oeuvre fut dépêchée sur place.  Je me souviens de leur arrivée dans le village. Pendant plusieurs jours nous les vîmes traverser à pied, encadrés par la garde à cheval, rejoindre leur campement sur les hauteurs du hameau "le Tronquoy". Ils étaient plus d'un millier, des volontaires de plusieurs nationalités, des espagnols prisonniers de guerre, tous logés sous des tentes de fortune. L'ingénieur en chef avait ses quartiers dans une aile du manoir mis à disposition par la famille Beaussire propriétaire des terres du Tronquoy. Son équipe occupait les dépendances.
 A la tombée du jour on pouvait apercevoir les lueurs qui montaient du campement, des dizaines de braseros qui la nuit crachaient des étincelles. Selon la direction des vents, une forte odeur de bois brûlé, mélangé à la cuisson de la popote embaumait tout le village. Les travaux ne doivent durer que quelques mois. Les gens du village sentaient bien que leur quotidien fait de tranquillité allait être bouleversé. Mais quand ils apprirent que des centaines de condamnés de droit commun, pour purger leur peine avaient été affectés aux tâches les plus durs, (le percement du souterrain sur plus de un kilomètre), plus qu'une inquiétude, une véritable psychose s'installa dans le village malgré les mots rassurant du commandant et de l'ingénieur en chef.
Je me souviens que mon grand-père avait pris l'habitude chaque soir de compter ses poules, coqs et lapins. Parfois la nuit, dès qu'un chien hurlait on devinait une agitation qui de cour en cour, de ruelle en ruelle, se prolongeait d'impasse en impasse pour finalement se propager jusqu'à la rue principale, et réveiller tout le village.
A partir de ce jour, les habitants prirent l'habitude de distinguer la partie en travaux, annonçant la naissance d'un nouveau quartier que l'on appela : le petit Lesdins.