Blog pour toutes et tous relatant les événements sur la vie du village de Lesdins

vendredi 25 mars 2016

Roman

Journée de chamaillerie à Lesdins

Episode n° 8

Parmi les personnalités présentes pour l'inauguration, trois ont déjà vu l'empereur. Le vicomte qui durant un temps embrassa la carrière militaire, le père Miclou blessé à la bataille de Marengo  et l'abbé Gambini alors jeune curé d'une paroisse où la grande armée séjourna une semaine pendant la campagne d'Italie. Et je n'oublie pas le sacristain Firmin, qui a déjà vu l'empereur, mais aujourd'hui il est cloué au lit par une forte fièvre. Ma grand-mère qui possède la science des plantes lui a concocté une décoction à base de camomille et de tilleul qu'elle récolte sur les arbres centenaires qui ombragent la place du village. Je sais qu'elle y ajoute de la verveine et du miel des ruches de mon grand-père, le reste, c'est son secret que bien des gens lui envient. Pas de doute avec de tels soins, Firmin sera vite sur pied.
Aucun autre Lesdinois n'a jamais vu l'empereur. Pourtant nous allons tous le reconnaître. C'est le seul qui chevauche un cheval blanc.
En vue du village, Napoléon abandonne sa berline pour faire son entrée à la tête d'un détachement de cavalerie légère. Il est entouré de deux maréchaux, Ney et Murat. Avant d'apercevoir le cortège, c'est le pas des chevaux, le grondement des sabots martelant le sol qui nous alerte. Soudain des cris. Une clameur se lève
- voilà l'empereur  .....
Sur l'estrade, postée à l'entrée du souterrain, l'écho me revient des profondeurs de l'ouvrage. Quand la foule s'écarte, apparaît Napoléon. Son aide de camp l'aide à descendre de sa monture immaculée.
Je suis là avec mon gros bouquet posé sur le coussin. Pierre-Marie, les mains à plat porte le sabre. Entre nous deux, le chef du protocole. L'empereur se dirige vers les officiels, les salue un à un avec un mot, une attention. On le croirait au milieu de ses grognards, un soir de bivouac. Le maire en oublie qu'il avait prévu un bref discours et bredouille quelques mots. Madame Mercier rattrape la situation et fait entonner le chant des enfants à la gloire du grand homme.
Napoléon monte sur l'estrade, en quelques phrases simples explique l'importance du projet qui lui tenait à coeur d'où sa présence aujourd'hui, et s'adresse aux habitants comme à ses proches soldats. 
Il est acclamé. Arrive le moment fatidique. 
Il se tourne vers moi. Je lui tend le bouquet posé sur le coussin, s'en saisit, me remercie et m'embrasse. Pour se libérer les mains, il se tourne vers son aide de camp pour lui remettre les fleurs, mais avant il en arrache plusieurs, les coince dans l'ourlet de son bicorne et me dit que ce sera son porte bonheur.
C'est maintenant au tour de Pierre-Marie. J'observe la scène, les bras tendus, le sabre bien en vue, l'empereur s'adresse directement à lui :
- tu vois, c'est un sabre de hussard, mon préféré.
Il prend l'objet par la garde, se tourne vers la foule, marque un temps d'arrêt pour que personne ne manque l'événement et d'un coup sec, tranche le ruban. A ma surprise il repose le sabre sur mon coussin. Le chef du protocole veut m'en débarrasser, l'empereur l'en dissuade.
- cette petite peut garder le coussin et ce petit gardera le sabre.... c'est un cadeau de l'empereur.
Je suis folle de joie.
Après ce geste, la foule est en délire. Mais il va en faire un autre. Il descend de l'estrade, se dirige vers le père Miclou blessé à Marengo, retire de sa redingote sa légion d'honneur et l'épingle au veston du vieil homme.  A cause des démêlés du pape et de l'empereur lors de son couronnement, le canal n'a pu bénéficier de la protection de dieu comme l'aurait souhaité l'abbé Gambini par une belle bénédiction. Celle-ci a été remplacée par un geste laïque. Les enfants des écoles, à tour de rôle, ont jeté leur bouquet dans la future voie d'eau.
Après la cérémonie, un immense banquet est réservé pour les officiels. Mes parents sont invités. Pierre-Marie et moi sommes les deux seuls enfants. Pour les Lesdinois, la fête se déroulera sur la grande place, face à l'église.