Blog pour toutes et tous relatant les événements sur la vie du village de Lesdins

mardi 29 mars 2016

Roman

Chamaillerie à Lesdins

Episode n° 9

Pendant que les Lesdinois fêtent l'événement sur la place du village, le banquet des officiels se tient sur les hauteurs du Tronquoy, sous une grande tente aménagée pour la circonstance. Assise sur un banc au côté de Pierre-Marie avec entre nous le coussin et le sabre dont nous sommes si fiers (cadeau de l'empereur),  nous observons les officiers avec le bicorne empanaché de plumes d'autruche, la redingote couverte de médailles, le pantalon blanc, le sabre fixé à la ceinture et les fameuses bottes montantes jusqu'aux genoux. Elles sont cirées et lustrées jusqu'à obtenir un brillant où se reflètent les chandelles qui éclairent le buffet. Sur celui-ci, des victuailles à picorer et des fruits à profusion. Des petits sablés imprimés de l'aigle impérial montés en pyramide, une idée du boulanger de Lesdins. Cette attention n'échappe pas à l'empereur qui félicite l'artisan. Il y a aussi pour accompagner le champagne, les biscuits roses de Reims inventés bien avant la révolution. Le champagne a été offert par l'oncle de madame Mercier, notre maîtresse, vigneron renommé pour son savoir-faire dans l'élaboration du fameux breuvage. Il présente à l'empereur le millésime qui sera servi ce soir. Napoléon prend le précieux flacon, se tourne vers Murat
 - A toi le privilège d'ouvrir la première bouteille  . . .
Le jeune maréchal d'empire, plutôt démonstratif ne se fait pas prier, et pour montrer son habileté à manier le sabre, le dégaine de son fourreau, incline la bouteille et avec le tranchant de la lame, fait sauter le haut du goulot. Le verre est brisé net. Murat sert la première coupe à l'empereur.
Ce geste audacieux met Napoléon de bonne humeur. Il ordonne à tous les officiers d'ouvrir les bouteilles avec leur sabre.
Sous la tente c'est un joyeux tintamarre créé par la rencontre de l'acier, du verre et du gaz qui s'échappe des bouteilles. L'empereur lève son verre pour trinquer. Amusé par la situation, sur le champ, il annonce la création de la confrérie des sabreurs de champagne et nomme le maréchal Murat premier grand maître. Désormais dans les banquets d'officiers, les bouteilles seront sabrées.
Dans les jours qui suivent, un décret signé de l'empereur officialise la confrérie. Le premier article : chaque année les promus seront intronisés sur la commune de Lesdins.
L'espace d'un instant, la tête ailleurs, je n'ai pas vu Pierre-Marie s'éclipser. Je me retrouve seule sur le banc. Je le cherche parmi la foule et l'aperçois en train de zigzaguer parmi les convives. En bon chevalier servant, il se présente à moi avec deux coupes remplies de notre boisson préférée, la limonade qui pétille dans la lumière des bougies où les petites bulles brillent avant de disparaître à la surface. C'est notre champagne à nous. Pierre-Marie dans un geste qui lui est propre, me tend une coupe, puis la deuxième et me dit
- je reviens avec des sablés et des biscuits roses  ......
A son retour, comme les grands, nous trinquons.
Quand il me fait des compliments sur ma coiffure et ma jolie robe, la pénombre vient à mon secours. Il n'a pu s'apercevoir que j'avais rougi.
Le vicomte Charles-Edouard souhaite s'attarder avec les officiers dont certains sont des amis d'enfance. Il convie Hippolyte le cocher du château pour raccompagner Pierre-Marie et propose à mes parents de profiter de la calèche pour notre retour.
Hippolyte nous dépose sur le pas de notre porte. Sur la place du village la fête bat son plein. Je peux entendre les charretiers entonner des chansons grivoises. Les esprits sont échauffés par la boisson. J'entend aussi des insultes qui fusent. Pour moi, il est temps d'aller me coucher. De ma chambre je reconnais une voix plus forte que les autres. C'est le boiteux, un bagarreur notoire, toujours prêt à faire le coup de poing.