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mardi 22 mars 2016

Roman

Journée de chamaillerie à Lesdins

Episode n° 7


Avec un gros bouquet de fleurs, moi Léontine 8 ans, j'ai été choisie pour accueillir l'empereur.

Je n'ai que vingt quatre heures pour me préparer. La maîtresse m'autorise à quitter la classe. Je file chez ma grand-mère pour lui annoncer la nouvelle. En plus de son savoir faire pour ses tartes que j'adore, c'est elle qui me confectionne mes plus beaux habits.
- grand-mère, il me faut une jolie robe...  j'ai été désignée pour remettre le bouquet d'inauguration du souterrain à l'empereur, demain à 16 heures.
- tu fais honneur à la famille .... ta robe sera prête même si je dois y passer la nuit.
Elle me prend quelques mesures puis m'intime l'ordre de rentrer chez papa et maman.
A la maison, c'est la surprise. Maman est folle de joie, m'embrasse, me félicite. Papa est plus réservé, mais dans son regard je lis une fierté faite de retenue. Le soir j'ai peine à trouver le sommeil et je m'endors en écoutant les derniers cris des choucas dans le clocher.
Le lendemain chez grand-mère, c'est l'essayage, et comme à chaque fois je suis émerveillée par sa créativité. La robe me va comme un gant. Dans la glace, j'ai l'impression de ressembler à une jeune princesse d'un des tableaux du peintre espagnol Velasquez. Le tissu est à fleurs, la robe est bouffante, cernée de dentelle. Au centre quelques fleurs brodées. Elle a aussi prévu un diadème.
Grand-mère m'accompagne jusqu'à l'école. Mon entrée en classe avec ma tenue de princesse et ma longue chevelure bouclée font de l'effet. J'entends des murmures oh,  joli, ..... chouette ...!. magnifique. J'en ressens une grande fierté, mais vais-je être à la hauteur de l'événement ... ?
Avant notre départ, c'est madame Mercier qui couvre mon diadème avec les plus jolies fleurs, puis nous fait mettre en rang par deux. Chacune d'entre nous tient à la main un petit bouquet. Moi je marche en tête avec le gros bouquet. Sur le chemin nous répétons les chansons apprises la veille en l'honneur du grand homme.
Lorsque nous arrivons au souterrain, il y a déjà beaucoup de monde. Tous les Lesdinois valides sont présents. Je reconnais le père Miclou, charpentier, qui a combattu à la bataille de Marengo. Il y a aussi le curé, l'abbé Gambini, le maire avec tous ses conseillers, toutes les sommités qui ont participé à la conduite des travaux, le châtelain Charles-Edouard Dubois de la Hyère et son fils Pierre-Marie de deux ans mon aîné. Il a été choisi parmi les garçons pour remettre à l'empereur le sabre qui servira à trancher le ruban pour ouvrir symboliquement le passage du souterrain.
Tous les deux, nous sommes invités à monter sur l'estrade, bien en vue, pour que personne ne manque l'événement. Du promontoire, je peux apercevoir les peintres officiels qui prennent des croquis pour immortaliser la scène, comme aime à le faire Napoléon. Il offrira à la commune un des tableaux illustrant la cérémonie. Plus tard, il sera accroché dans la grande salle de la mairie.
Un maître de cérémonie se dirige vers moi avec un énorme coussin, prend mon bouquet et le dépose délicatement dessus, puis mime la scène que je devrais reproduire. Je dois répéter deux à trois fois le geste. Je suis intimidée. Le coussin bourré d'un duvet d'eider est d'une légèreté qui me surprend et me rassure. Ma chorégraphie est parfaite.
C'est maintenant au tour de Pierre-Marie. Le fils du châtelain est habillé comme un prince, vêtu d' une chemise à jabots et de souliers rutilants. Il doit présenter, tournée vers le ciel, la paume de ses mains gantées de blanc pour que l'officier d'ordonnance y pose le sabre. L' exercice est parfait.
Pour tous les deux, malgré notre jeune âge, nous avons conscience que nous nous préparons à vivre un événement inoubliable.