Episode n°14
Cette semaine c'est encore le boiteux qui fait jaser. Après ses frasques au café de la marine, le voilà, au moment de payer la facture que Charlemagne lui présente, qu' il renie sa signature invoquant de multiples prétextes. Le marinier n'est pas homme à se laisser faire et entend bien qu'il respecte les accords conclus. Le ton monte. Il faut dire que le boiteux a déjà quelques verres d'absinthe dans la panse et que les vapeurs d'alcool commencent à lui monter à la tête. Avant que cela ne dégénère, la patronne Ylsa, la suissesse, intervient en criant
- dehors !.... pas de bagarre ici....
Sur les bords du canal deux attroupements se forment. D'un côté les Lesdinois venus vendre leurs produits maraîchers, de basse-cour ou laitiers, de l'autre la profession des mariniers. Ivre de colère, le boiteux s'empare d'une pelle, la fait tournoyer en menaçant Charlemagne. Ce geste intempestif ajouté aux cris, apeure un des chevaux qui tombe à l'eau avec son chargement. La pauvre bête va se noyer. La confrontation est inévitable. Les mariniers prennent vite le dessus. Le boiteux et ses deux ou trois soutiens vont prendre une bonne dégelée.
En plus d'avoir perdu un cheval et son chargement, couvert de bleus de la tête aux pieds, il s'acquitte de son dû. Quand monsieur Lalou le garde champêtre arrive, tout est rentré dans l'ordre. Le boiteux ne souhaite pas porter plainte pour préserver ses intérêts. Il dit
- le cheval à l'eau c'était un accident. Pour les nombreuses contusions, je suis tombé d'un tombereau (Mr Lalou n'en croit pas un mot).
Tous les enfants ont été réunis sous le préau. Monsieur le maire prend la parole
- vous êtes au courant des drames qu'a connus notre commune : un suicidé, plusieurs noyés dont trois enfants du village voisin, un cheval tombé à l'eau. Les abords du canal sont des plus dangereux. Il ne faut plus s'en approcher. Des esprits maléfiques rôdent. Le père Miclou va vous relater l'histoire qu'il a vécue en traversant la forêt des monstrosiaskis.
" Notre bataillon devait rejoindre le Danube, à travers ce grand massif forestier qui couvre le quart de la Pologne dont les arbres sont si hauts et le bois si dur que Christophe Colomb les avait choisis pour construire ses caravelles et partir à l'aventure vers l'Amérique. L'intérieur de cette forêt était inaccessible. Les lianes étaient couvertes d'une substance gluante qu'il ne fallait surtout pas toucher sous peine d'horribles démangeaisons. On progressait le long des cours d'eau et le soir, au bivouac, les ours rôdaient, les loups hurlaient. Ce dont nous avions le plus peur c'était des rouwskis, une sorte de vampire qui chaque nuit faisaient disparaître l'un d'entre nous ".
Sous le préau, dans notre petite tête d'enfant c'était l'effroi. Malgré tout, moi Léontine je me risque à poser une question
- Père Miclou .... les rouwskis sont-ils déjà venus jusqu'à Lesdins .....?
- Je vous raconterais la suite mardi. Aujourd'hui je dois partir à St-Quentin pour fêter la St Joseph, le patron des charpentiers dont je suis le président d'honneur de la confrérie.